Témoignage sur l’infertilité féminine
Rien ne se passe jamais comme prévu
Dans sa BD autobiographique pleine d’humour, Rien ne se passe jamais comme prévu, Lucile Gorce raconte son infertilité. Des dessins légers, une palettes de couleurs pour les sentiments et un texte à la fois drôle et juste : cette bd est irrésistible. Interview de Lucile Gorce.
Pourquoi cette BD autobiographique ?
Lucile Gorce.- Lorsque j’ai été confrontée à des difficultés pour avoir un bébé, je me suis trouvée très seule. C’est un sujet encore tabou, on n’en parle pas facilement autour d’un café ou même avec sa famille. C’est aussi assez culpabilisant pour ceux qui le vivent (n’y a-t-il rien de plus naturel que de faire un bébé?), donc ce n’est pas non plus toujours facile de libérer sa parole.
J’ai choisi d’écrire cette BD pour deux raisons : la première, c’est parce que j’en avais besoin. C’était un échappatoire, une façon de raconter ce que je vivais, de déculpabiliser en me forçant à prendre du recul, d’évacuer le stress et les mauvaises « ondes ». La seconde, c’est parce que je voulais justement combattre cette solitude, dire aux autres couples confrontés à ces problèmes qu’ils ne sont pas seuls, qu’on traverse tous plus ou moins les mêmes choses, les mêmes étapes, les mêmes doutes, les mêmes déceptions et les mêmes espoirs.
Qu’est- ce qui a été le plus dur à mettre à l’écrit ?
LG.- Il y a pas mal de choses « inavouables », dans ce parcours. Et d’abord le plus difficile à avouer, c’est son statut d’infertile. Une fois l’histoire écrite, j’ai eu un moment de doute, où je me suis demandée si j’allais assumer publiquement cette histoire et son aspect autobiographique.
Et puis il y a des choses que je n’ai pas réussi à mettre par écrit, mais que Emma Tissier, l’illustratrice avec laquelle j’ai réalisé cet album, a su traduire en images. C’est le cas notamment de cette espèce de « double vie » qu’on vit en permanence. C’est difficile à assumer et à expliquer à son entourage : quand on traverse une telle épreuve, qui dure souvent dans le temps, on ne pense plus qu’à ça! On développe alors une sorte de double vie : il y a le personnage qu’on joue au quotidien, qui vit sa vie normalement en apparence, qui fait des petits sourires convenus quand on lui dit « alors, pas de bébé en vue ? », etc. Et puis il a la petite voix dans la tête qui compte les jours, qui fait et défait des hypothèses, qui se demande si on y arrivera un jour. Et c’est ce qu’Emma a su parfaitement traduire en superposant, dans l’album, deux personnages dessinés : celui au trait noir, qui représente le personnage « public » ; et celui en couleurs, qui traduit les pensées de ce personnage au même moment.
Vous dépeignez des professionnels de santé hauts en couleur. Lequel vous laisse le meilleur souvenir ?
L.G.- Ma gynécologue évidemment, qui est exceptionnelle : à l’écoute, attentionnée, efficace. Elle a tout de suite écouté ma souffrance et saisi le problème à bras le corps. Elle a su me guider dans le début du parcours, et me recommander les bons professionnels vers lesquels me tourner une fois que les solutions qui étaient dans ses compétences ont été épuisées.
Et puis mon psy, évidemment. Il a été essentiel pour moi, et je voulais qu’il soit central dans l’album, car on propose très rarement un accompagnement psychologique aux couples en situation d’infertilité, alors que c’est une situation tellement lourde à gérer, à la fois individuellement mais aussi à deux! Son intervention a été très bénéfique : il m’a donné beaucoup de clés de compréhension, il m’a aidée à déculpabiliser, à surmonter les épreuves. Et il est tellement drôle, il avait forcément sa place dans cet album!
Vous parlez des masques que l’on se met en société pour éviter de parler d’infertilité. Est-ce une manière de dire aux femmes de se libérer ?
L.G.- Oui! Et plus généralement une invitation pour tous les couples et tous les professionnels de santé à parler plus librement de ce sujet.
La société nous renvoie encore une image qui nous fait croire qu’un jour on décide de faire un bébé et hop! le voilà aussitôt en route. Alors qu’on estime aujourd’hui qu’un couple sur 6 est confronté à des problèmes d’infertilité.
Comment ont réagi vos proches à la sortie de l’ouvrage ?
L.G.- Mon « Gus » a été super, il m’a soutenue pendant toute la durée de ce projet, et il m’a fait une confiance aveugle pour raconter cette histoire qui est aussi en grande partie la sienne, puisqu’il a refusé de voir une seule page de l’album avant son départ chez l’imprimeur!
Au départ, ma famille et mes amis ont été un peu intimidés par cette sortie ; je pense qu’ils ne savaient pas vraiment à quoi s’attendre ni ce que j’avais à raconter, étant donné que j’ai assez peu parlé de ce que je traversais. Mais ils ont tous très bien accueilli l’album : ils sont heureux de ce témoignage ; beaucoup m’ont dit que cela les avait aidés à comprendre ce que nous vivions. Il y a d’ailleurs pas mal de familles d’amis confrontés à ce problème qui ont acheté l’ouvrage, et auxquelles cela a permis de comprendre ce que leurs proches vivent sans oser le raconter. J’en suis très heureuse car cela veut dire qu’un des objectifs de cet album est atteint : fournir un témoignage de ce que vivent les couples infertiles pour accompagner avec humour ceux qui traversent cette épreuve.
Vanessa Pageot
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